Ma vie avait pris un sacré tournant. Enfin, celle de la famille Baker plutôt. Ma mère avait eu la bonne idée d’adopter une fille. Elle avait quatre ans de plus que moi. Ma mère m’avait bien sûr demandé d’être gentille avec elle. Elle m’avait aussi expliqué ce qu’elle avait vécu. J’avais écouté que d’une oreille en voyant que ma mère passait plus de temps avec elle qu’avec moi. Il y a certaines choses que je pouvais comprendre mais pas celle de perdre ma mère à cause d’une autre fille, qui n’était même pas sa vraie fille. Alors oui, on pouvait dire que je détestais Winnie. J’avais l’impression qu’elle me volait ma mère, qu’elle était dix fois mieux que moi et que c’est pour ça que ma maman passait du temps avec elle. J’avais l’impression d’être la cinquième roue du carrosse et mon meilleur moyen de me défendre face à ça, c’était d’en vouloir à Winnie. Je lui faisais comprendre que je ne l’aimais pas. Je lui montrais qu’elle n’avait pas sa place parmi nous. Je voulais qu’elle reparte d’où elle venait. Avec ma tête d’ange, il pouvait arriver de temps en temps que je me comporte comme une vraie peste. Quoi qu’il en soit, les vacances venaient de commencer. J’avais fait des pieds et de mains pour aller passer au moins la première semaine chez mon père, mais tous mes efforts n’avaient servis à rien. J’allais devoir passer les vacances avec Winnie et rien que l’idée me dégoûtait. Je ne voulais pas la voir. C’était trop compliqué à comprendre, ça ? En plus de ça, c’était une journée pluvieuse : je ne pourrais même aller la passer tranquillement dans le jardin. Finissant mon bol de céréale, que je déposais ensuite à côté de l’évier, je remontais vers ma chambre pour prendre mes feuilles et mes crayons. J’adorais dessiner. Du haut de mes quatre ans, j’avais un vrai talent pour ça. Je passais le plus clair de mon temps à dessiner. Tout et n’importe quoi. Je descendis ensuite et alla vers le salon. J’avais l’habitude de me mettre sur la grande table pour dessiner. D’habitude il n’y avait personne, mais là… Je vis Winnie. Je fronçais mes sourcils et me dirigeait néanmoins vers la table. J’allais m’installer à l’autre bout de la table et lança à Winnie, sur un ton froid :

« Pourquoi t’es là ? »

En d’autres termes, cette question voulait dire que je ne voulais pas qu’elle soit dans la même pièce que moi. Si ma maman me voyait parler comme ça à Winnie, je me ferais sûrement engueuler une fois de plus. Ce ne serait pas la première mais là, Winnie l’avait cherché. Elle savait que j’avais l’habitude de venir ici pour dessiner. Elle le faisait exprès. Sortant un par un mes crayons, j’attendais la réponse de ma chère sœur, en espérant qu’elle ne me sorte pas une excuse bidon. Je ne savais pas si j’allais, un jour, me réconcilier avec elle. Peut-être que je changerais de point de vue sur elle mais pour l’instant ce n’était pas d’actualité. J’avais l’impression que chaque chose qu’elle faisait ou disait était un coup de plus pour que ma mère m’oublie complètement. Et ça, ça ne me plaisait pas du tout. Mais alors vraiment pas.

we are family, no matter what.

Ca faisait maintenant quelques mois que Winnie avait élu domicile dans sa nouvelle maison, au sein de sa nouvelle famille. Au mois de mai dernier, son père était enfin emprisonné pour tout le mal qu'il avait fait à sa petite fille, et à sa femme décédée. Ca faisait à présent cinq mois que Winnie ne s'était plus faite frapper, les derniers gros hématomes avaient disparus, ses côtes n'étaient plus douloureuses quand elle respirait et elle commençait à se sentir mieux, elle ne vivait plus dans la crainte de faire une bêtise qui mettrait son père en colère, ou la peur de se faire battre. Elle appréciait vraiment la douceur et la gentillesse de Jazmin, et n'aurait jamais rêvé avoir meilleure maman. Mais tout n'était pas totalement rose. Winnie était une enfant profondément marquée par son passé, et même si elle s'appliquer à ne pas le faire transparaître elle souffrait lorsque ces années de douleur lui revenaient en mémoire. Souvent, c'était sous forme de cauchemars la nuit, c'était le moment où elle était le plus vulnérable, et bien souvent Jazmin acceptait de la laisser dormir dans son lit, Winnie ne trouvait pas ça juste qu'elle puisse s'accaparer l'attention de Jazmin de cette manière, mais il n'y avait rien qu'elle pouvait faire pour se calmer elle-même, elle avait besoin de l'aide de sa nouvelle maman, même si elle se trouvait faible et honteuse. C'est l'une de séquelle que son enfance lui aura laissé, son manque d'estime d'elle-même. Son père l'avait toujours considéré comme une esclave cassée, elle n'était même pas assez bien pour être une esclave, il lui rabâchait sans cesse qu'au moins les vrais esclaves ne pleuraient pas, et servaient correctement. Elle, elle était cassée. Il lui avait fait croire qu'en fait, il était la seul personne qui voulait s'occuper d'elle tellement elle était minable, et qu'il fallait qu'elle lui soit reconnaissante. Et même si la petite fille a bien compris aujourd'hui qu'il n'y avait rien de normal à ce qu'un homme frappe son enfant, elle se sentait moins bien que les autres petite fille. Comme salit par son passé. Et pour ne rien arranger, sa petite soeur ne faisait rien pour qu'elle se sente chez elle. En effet, Kayleigh n'a jamais été très tendre avec Winnie et la prend pour une rivale qui n'a pour but que de lui voler sa mère. La petite brunette s'est toujours sentie de trop partout où elle passait, mais cette sensation à été très vite renforcé par les caprices de la fille de Jazmin. Au début, Winnie était ravie à l'idée d'avoir une petit soeur, mais quand elle a compris que la petite s'évertuerai à lui marcher sur les pieds, Winnie a vite déchanté. Du coup, depuis le début entre elles, c'est un peu la guerre froide.
Ce matin Winnie avait décidé de s'installer dans la cuisine pour dessiner, elle n'était pas une grande artiste mais le dessin lui permettait de s'exprimer. Quand elle vit la petite tête de Kaly s'approcher, elle compris que l'atmosphère allait très vite devenir électrique. En effet, Winnie savait pertinemment que sa soeur détestait qu'elles partagent les mêmes activités, et surtout au même endroit et au même moment. « Pourquoi t’es là ? » ce que Winnie redoutait arriva, les hostilités avaient commencé. En temps normal, la petite brune aurait regardé sa jeune soeur d'un air désolé et aurait déguerpit, histoire de ne pas créer la troisième guerre mondiale. Hé oui, Winnie restait avec ses craintes d'enfants, et comme toutes petites filles adoptées elle avait peur de partir aussi vite qu'elle était arrivée, alors elle évitait à tout prit de faire des vagues. Elle savait très bien que si Jazmin devait choisir entre Kaly et elle, elle choisirait sans aucune hésitation Kaly. C'est sa fille après tout. Néanmoins aujourd'hui, Winnie décida qu'elle ne se laisserait plus faire. Elle inspira calmement, et fronça un peu les sourcils, peu rassurée à l'idée de tenir tête à la fille biologique de Jazmin. « Parce que j'habite ici et que j'ai autant le droit que toi de dessiner sur cette table. » Aussi bizarre que ça puisse paraître, il avait fallut beaucoup de courage à Winnie pour sortir cette phrase, parce qu'elle essayait autant de se convaincre elle même qu'elle n'essayait de convaincre sa soeur. Elle avait mis du temps avant d'accepter le fait qu'elle était la fille de Jazmin, mais pour elle, elle ne le sera jamais autant que Kayleigh, et c'est difficile de se faire respecter quand on ne se respecte pas soit-même. Cependant l'attitude de sa soeur commençait à être plus que détestable, et il fallait qu'elle lui montre qu'elle n'avait pas le droit de se comporter comme une petite peste sous prétexte qu'elle se sent rejetée. Si elle avait des comptes à régler, c'était avec Jazmin, pas avec Winnie.

Je savais pertinemment que Winnie avait souffert. J’avais beau avoir quatre ans et être encore une petite fille, je n’étais pas non plus complètement débile. Et il fallait avouer que j’avais toujours rêvé d’avoir une sœur. Mais pas dans ces conditions. Pas s’il avait fallu qu’elle s’accapare ma maman comme elle le faisait. C’était la mienne, pas la sienne. On pouvait dire que j’étais jalouse mais j’avais l’impression que ma maman m’aimait moins que Winnie. J’avais l’impression qu’elle était deux fois plus attentionnée avec Winnie qu’avec moi, alors que moi aussi j’avais besoin d’elle. C’est essentiellement par jalousie que je détestais Winnie et que je voulais la voir partir. J’avais le sentiment que personne ne comprenait ce que je vivais. J’avais même demandé à ma maman d’aller vivre entièrement chez mon papa. Au moins, ça aurait évité que je me comporte comme une peste avec Winnie, mais elle avait catégoriquement refusé. Quoi qu’il en soit, tant que Winnie n’était pas dans la même pièce à faire les mêmes choses, ça passait. Seulement aujourd’hui, elle en avait décidé autrement. Je lui avais lancé une pique, d’habitude elle partait. Continuant de sortir mes crayons et entendant sa réponse, je levais les yeux vers elle et lui lançais un regard noir. Je n’aimais pas du tout la façon qu’elle avait de me tenir tête. Surtout que je n’avais pas vraiment l’habitude de l’entendre parler avec autant d’aplomb. Continuant de lui lancer mon regard assassin, je répondis :

« Pourquoi tu dessines ? T’es nulle en dessin. » J’avais ensuite baisser le regard sur ma feuille. Du haut de mes quatre ans, je ne savais pas que dessiner était en général, un talent qu’on a ou qu’on n’a pas. Moi je l’ai, elle non. Après avoir réfléchis à ce que j’allais dessiner, je reposais mon regard sur Winnie et ajoutais : « T’as d’autre tables dans la maison pour aller dessiner. T’es pas obligée de venir ici, j’veux pas que tu sois là. »

Je ne me rendais pas vraiment compte de la porter de mes mots. Je savais que j’étais méchante, mais je n’imaginais pas le mal que ça pouvait lui faire. Parfois, je me dis que tu aurais été plus simplement si j’étais allé vivre chez mon papa. Au moins lui, il n’aurait pas adopté une fille venu tout droit d’on ne sait où. Parce qu’il fallait l’avouer, même si je prenais un malin plaisir à torturer Winnie, je souffrais de cette situation. J’aimerais tellement qu’on arrive à s’entendre, comme de vraies sœurs. Mais pour moi, c’était impossible. En tous cas, pour l’instant. Après avoir lancé ma phrase assassine, je reposais mon regard sur ma feuille et commençait à dessiner. J’avais envie de dessiner un animal, un perroquet. J’adorais ces oiseaux, je trouvais ça vraiment magnifique. Et ça faisait un moment que je n’en avais dessiné. Tout en me concentrant sur ma feuille, j’espérais que Winnie s’en aille ailleurs.