Espérer avoir une soirée tranquille, dans l'appartement des frangins Hazelwood, c'était comme espérer ne plus avoir ce stupide accent germanique. Possible, mais illusoire quand même. Affalé sur le canapé du salon, ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles pour ne pas avoir à entendre le programme télévisé que Geoffroy avait laissé et regardait du coin de l’œil, Aloysius tapait l'air au gré du rythme de son pied. Les yeux fermés, les mains croisées sur le ventre, il repensait à son dernier rendez-vous avec Arizona. Il commençait à beaucoup apprécier la jeune femme. Les débuts avaient été difficile ; elle lui avait semblé un peu distante, un peu ailleurs peut-être, comme si elle était brisée par quelque chose dont elle ne voulait pas parler. A droite, à gauche, il avait finit par comprendre qu'elle était souvent apparue sur le blog de Gossip Girl et il y avait jeté un œil. Sans réellement lire ce qui avait été dit sur elle, il avait compris qu'elle avait été hospitalisée pour un geste qu'elle avait commis et le jeune étudiant en histoire avait mieux compris son côté un peu lointain. Sans que cela ne lui ressemble, il avait un peu persévéré, l'invitant de temps en temps à boire un verre ou juste sortir dans Central Park. Elle acceptait souvent et ils passaient de plus en plus de temps ensemble. Parfois, il lui attrapait la main pendant quelques secondes, le temps de faire quelques pas et il la relâchait. Il évoluait à ses côtés. Il l'aimait bien. Mais il lui restait difficile pour lui de bien comprendre ce dont il était question ; jamais encore il n'avait été proche avec une fille. A part Nico' mais elle, c'était différent. Il en avait parlé à personne. A part un peu à Tyler, qu'il considérait comme son meilleur ami, mais il n'avait jamais mentionné le prénom d'Arizona. Et avec Tyler, c'était pas tout à fait pareil, il ne pouvait pas vraiment en parler : il venait juste de sortir d'une rupture et il avait du mal à s'en remettre. Aloysius ne voulait le faire aller plus mal encore alors il se contentait de dire qu'il avait une amie. De toute façon, c'était encore ce qu'elle était. Une amie.
« Loïs, youhoo. » Il souleva les paupières pour voir la main de son frère passer et repasser devant ses yeux. Ses lèvres remuaient mais aucun son n'en sortait. Sauf si Joachim avait mué et que sa voix était devenu soudainement aussi grave que celle de Nick Cave. Intrigué, le cadet Hazelwood retira ses écouteurs. A temps pour entendre la dernière partie de sa phrase. « … invite à sortir, ça te dit de venir boire un verre avec nous ? Il est cool tu vas voir, puis ça te changera des soirées étudiantes auxquelles on participe d'habitude. » Il pinça ses lèvres avant d'acquiescer. De toute façon, c'était soit accompagner son aîné avec son pote – dont il n'avait pas entendu le prénom – soit supporter le programme télé de Geoffroy et vu les goûts quelque peu douteux de ce dernier, le choix n'était pas bien difficile à faire. « Gut ! Alors prépare-toi parce qu'on a rendez-vous au Tribeca. » Et sur ces mots, il lui lança un vieux sweat shirt à la figure sans qu'Aloysius n'ait le réflexe d'empêcher le vêtement de venir percuter sa bouche et son nez.La scène avait sans doute été trop rapide pour lui.

Lavé et habillé par l'un des slim couleur grenade et d'un vieux sweat chaud qu'il adorait porter, Aloysius jouait avec une vieille bille retrouvée sous l'un des meubles lors du dernier ménage printanier en attendant que son aîné termine de se préparer. Il regarda l'heure, poussa un soupire. C'est alors que le portable de Joachim vibra. Jetant un coup d’œil, l'étudiant en histoire releva la tête de sa bille qui continuait de rouler. « Jo' grouille-toi, j'crois que ton pote t'a envoyé un message ! » Mais ça pouvait tout aussi bien être une notification facebook ou twitter ou instagram ou même être n'importe quelle greluche avec qui Joachim bavardait de temps en temps. La différence entre l'aîné et le cadet était bien leur taux de popularité. Alors que personne, ou presque, n'avait le numéro d'Aloysius et que celui-ci pouvait abandonner son cellulaire une journée entière sans qu'il ne rate rien, son aîné recevait un message ou une notification toutes les minutes. De quoi rendre fou n'importe quelle personne saine d'esprit, du point de vue du plus jeune.
Finalement, Joachim quitta la salle de bain et les deux frères se mirent en route en direction du Tribeca. D'après ce qu'il avait pu comprendre, il s'agissait d'un hôtel luxueux. Et il organisait une petite réception en cette soirée, raison pour laquelle ils s'y rendaient. Aloysius se frotta la nuque, mal à l'aise tandis qu'ils prenaient un taxi pour traverser une partie de Manhattan. Durant le trajet, les deux Hazelwood se chamaillèrent, comme à leur grande habitude, discutèrent et se contredirent avant de partir en fou rire. C'était un de ces moments qu'Aloysius adorait le plus dans le fait d'avoir des frères. Cette complicité qui les liait aux moments les plus incongrus qu'ils soient tous ensemble ou en petit comité.

Puis ils parvinrent au Tribeca et quittèrent le taxi. Joachim paya la course – il avait été convenu qu'Aloysius paie le retour – et s'annoncèrent au vigile qui les autorisa aussitôt à entrer. L'étudiant en histoire avait du mal à suivre son aîné tant celui-ci semblait être excité. Apparemment, ça faisait un petit moment qu'il n'avait pas pu voir son pote. Il fit un geste et Aloysius comprit que son frangin avait repérer son ami. Tant bien que mal, il le suivit et, tandis que Joachim saluait son ami, se posta derrière lui. « Hey Nate ! Ca fait un bail gars ! Tu peux pas savoir combien ça m'a fait plaisir de recevoir ton message ! » Il lui fit une accolade, de celle qui manque de déboîter quelques épaules avant qu'il ne se retourne vers Aloysius et attrape celui-ci pour le faire avancer d'un pas. « Avant que j'oublie, c'est Aloysius, mon p'tit frère. Le bébé de la famille. Loïs, voici Nate. » Un sourire forcé apparut sur les lèvres du jeune homme tandis qu'il adressait un signe de la main en direction de Nate. « Tu peux m'appeler Loïs ou Aloys. » Il préféra ne pas relever son aîné sur sa position de dernier de la famille ; il était habitué à ses brimades incessantes et s'en amusait souvent. Il s'installa sur un siège à son tour. « Alors Nate, qu'est-ce que tu racontes ? Je t'ai vu plusieurs fois sur le blog de Gossip Girl. Je crois qu'elle en pince pour toi. » Aloysius se pencha, écoutant d'une oreille la discussion à présent lancée, se mordant la lèvre. Il se demandait bien pourquoi il avait accepté de venir, après tout, il ne connaissait pas le pote en question, il l'avait peut-être bien aperçu à la fête de Jake mais il n'en était même pas certain, et il allait sans doute disparaître, une fois de plus. De ça aussi, il en avait pris l'habitude. D'être le fantôme, l'ombre effacée de Joachim.

Le pote de son frère avait l'air sympathique aux premiers abords. Mais à en juger par le regard qui lui lançait Joachim, Aloysius eut le sentiment qu'il était supposé le connaître. Il fronça les sourcils, tentant de se souvenir s'il avait déjà croisé son visage mais rien ne lui venait à l'esprit. Il avait participé à quelques soirées récemment, principalement pour voir Arizona, peut-être l'avait rapidement entr'aperçu à l'une d'entre elle. L'étudiant lui serra la main, repoussant l'idée de puiser au fin fond de sa mémoire – peut-être Nate serait-il, lui, en mesure de l'aider à se souvenir mais rien ne lui assurait qu'ils s'étaient effectivement croisé un jour comme le pensait son aîné – et esquissa un sourire timide. « Ca va, et toi ? » Mais déjà, Joachim s'installait et reprenait la conversation avec son ami. Il rit tandis que le plus jeune essayait de comprendre ce dont il était question. Gossip Girl, il connaissait plus ou moins mais il n'y prêtait jamais une grande attention. Son regard se posa alors sur Nate ; de toute évidence, il était une cible de choix pour la commère de New York. L'inverse d'Aloysius qui devait être plus discret encore qu'une ombre. « Que veux-tu, je suis bien moins sensas' que Nate Archibald. Et je préfère qu'elle parle pas de moi, mieux vaut qu'elle humilie les Amaryllis. » Malgré lui, l'étudiant en histoire leva les yeux au ciel à cette remarque et guetta la réaction de Nate. Est-ce que celui-ci savait qu'un de leur frère était, justement, dans le groupe des Amaryllis ? Et si oui, qu'est-ce que ça lui faisait de voir que deux frères se faisaient la guerre à cause de disputes de gang ? « Bon sinon de neuf ? Bah écoute, j'ai eu ma bourse de sportif, alors ça ne peut qu'aller. Je pense me remettre au football aussi, ça me manque pas mal en fait mais je me tâte encore. Ça me laisserait moins de temps pour sortir, déjà que je commence à en manquer. Puis j'hésite encore sur mon orientation pour l'année prochaine. Enfin. Et toi alors ? Une nouvelle petite amie en vue ? » A cet instant, l'allemand eut l'impression que Nate était un de leurs frères et que le petit rendez-vous n'était pas des retrouvailles entre deux vieux potes, mais bien une sortie entre frangins.
Il accepta avec plaisir la proposition du jeune homme et demanda un verre de Schnaps tandis que son frère prenait aussi un verre. Et la conversation continua, principalement autour de Joachim et de son ami, Aloysius prêtait une oreille évasive à ce qu'ils se racontaient. Il écoutait sans vraiment entendre. Ou entendait sans vraiment écouter, il ne savait jamais. Le plus jeune s'aperçut alors que l'amitié qui liait les deux autres garçons semblait sincère. Lui qui avait toujours pensé que dans ces groupes, les amitiés ne tenaient qu'à un fil. Et puis Nate s'adressa à lui.
La surprise qui se peignit sur son visage était, elle aussi, sincère. Il écarquilla les yeux pendant qu'une lueur amusée passait dans les yeux de Joachim. Balbutiant un instant, Aloysius fit passer son regard de son frère à Nate avant d'enfin répondre. « Euh... Je suis, hm, étudiant en histoire, à Brown. Mais je... J'hésite à me lancer dans des études d'architecture, en fait. » Peu habitué à ce que l'on s'intéresse à lui, Aloysius était incapable de parler de lui plus longtemps. Il ignorait même si la question lui avait été posée par pure politesse ou par réel intérêt. Et s'il avait bien répondu à la question ou s'il était totalement à côté de ses pompes. « Et toi ? Tu suis le même cursus que Jo' ou t'es très loin du sport ? » Il tenta un sourire, un peu crispé peut-être, et fut soulagé de voir leurs boissons leur être apportées. Il en profita pour lancer un regard autour d'eux, avala une gorgée de son verre. Se sociabiliser, qu'on lui disait. Mais aucun bon sujet de conversation ne lui venait à l'esprit et il se mordit la lèvre nerveusement, lança un regard perdu à son aîné qui intervint, gloussant légèrement. « Buvons au fait qu'on ait réussit à faire concorder nos emplois du temps de ministre pour nous voir. Et à la rencontre entre Nathaniel Archibald et Loïs. » Et il but. Alors Aloysius fit de même.

Petit à petit, Aloysius se sentait à son aise. Ou plutôt, il sentait la boule de nerf présente au niveau de sa nuque se détendre, ce qui était, il lui semblait, plutôt bon signe. Il fallait tout de même préciser que c'était parce que Nate était quelqu'un de réellement sympathique, qui avait la conversation facile, d'après ce qu'il entendait. Tout son inverse, en somme. Le jeune homme était aussi souriant que poli et, à en juger par le regard qu'il avait, il n'aimait pas l'idée d'humilier un groupe de personne sans bonne raison. Malgré lui, l'étudiant eut un léger rire qui lui valut le regard sombre de son aîné. Il haussa les épaules pour toute réponse, ignorant le soupire que poussa Joachim. « T'as pas tout à fait tort, mais certains sont coriaces. C'est à se demander si parfois, certains ne cherchent pas le scandale pour faire parler d'eux. » Assis à côté de son frangin, Aloysius fronça les sourcils mais ce dernier n'ajouta pas un mot, ni de nom. S'il pensait à quelqu'un en particulier, il était difficile, pour lui, de deviner de qui il s'agissait. Jusqu'alors presque silencieux, le plus jeune décida d'intervenir. « Vous n'avez jamais essayé de trouver qui c'était ? Cette Gossip Girl, je veux dire. » Le challenge ne lui paraissait pas si difficile que ça, mais il devait admettre qu'il n'y connaissait rien en technologie ou en traquage internet. C'était déjà à peine s'il savait ses cours d'histoire médiévale. Il tourna la tête pour guetter la réaction de son aîné mais ce dernier se buta à ne rien dire et son visage resta impassible. Peut-être qu'il n'en savait rien. Ou peut-être qu'ils avaient essayé mais avaient fait chou blanc ? C'était une autre possibilité. Et comme Joachim était plutôt mauvais perdant, ça expliquerait pourquoi il préférait ne pas en parler.
La conversation entre Nate et Joachim reprit et, de nouveau, Aloysius retourna à son observation minutieuse de la décoration intérieure du bar de l'hôtel. Il trouvait les lieux assez sombre ; à part les lampes, il n'y avait aucun éclairage et c'était, du point de vue du jeune homme, triste. Ou dommage, plutôt. Une simple fenêtre, peut-être davantage au niveau du toit, suffirait à apporter une grande luminosité à la place. Et donnerait un effet sensationnel lors de soirées ou de réceptions, s'il y en avait d'organisées. L'idée de pouvoir lever la tête et observer les étoiles lui plaisait beaucoup. « Arrête Nate, t'es un chic type. Y a pas plus supportable que toi sur Terre ! » La réplique fit revenir Aloysius auprès des deux autres hommes. Joachim semblait sincère. Cette constatation tira un léger pincement au cœur du cadet ; il comprenait maintenant que s'il n'avait pas à se plaindre de sa relation avec son frère aîné, il n'en était rien de Geoffroy. La guerre était déclarée entre les deux frères et si Geoffroy savait combien Joachim était proche de Nate, ça pouvait expliquer les tensions qui régnaient entre eux. Silencieusement, il se fit la promesse d'en toucher deux mots à son frangin, plus tard.

Il baissa la tête, passablement gêné, les joues rougies par le compliment et il se frotta la nuque nerveusement. « Ouais, euh, non, pas réellement. L'intello de la famille, c'est pas moi, mais c'est vrai que c'est pas bien compliqué de l'être plus que Jo'. » Il ne para pas le coup amical que lui asséna son aîné derrière la tête mais un large sourire trahissait ses lèvres. Il était rentré dans le jeu de Nate et avait maintenant l'impression d'être dans le clan. « Ceci dit, il est peut-être déjà trop tard pour lui enfoncer quelque chose dans le crâne. Tu sais, les sportifs sont jamais réputés pour leur grande intelligence... » Cette fois-ci, il parvint à éviter la fausse tape que son frère lui préparait et un sourire sincère lui étirait les lèvres tandis qu'il échangeait un regard complice avec Nate. Il ne s'était pas attendu à ce que ce dernier lui adresse la parole et moins encore qu'ils puissent s'entendre aussi facilement. Mais ça faisait du bien. Ça le soulageait de le constater. La question lui étant retournée, Nate réfléchit avant de répondre. Donc, il ne faisait pas de sport. Du moins, pas à l'université. « La com' ? C'est pas mal comme sujet. Plutôt dans la communication internationale ou journalistique ? » En réalité, il n'y connaissait rien aux différents types de communication, mais il savait que le journalisme était considéré comme un genre de communication et puisque l'ami de son frère était cool, il pouvait bien faire l'effort de s'intéresser un peu à lui.
Les boissons leur furent apportées et, mimant son aîné, Aloysius trinqua avant de boire. « C'est un plaisir pour moi aussi, Nate. » Et il était honnête. S'il n'avait jamais été capable de se créer de vraies amitiés, il sentait que ça pourrait être différent avec Nate qui lui facilitait beaucoup les choses. Le téléphone de Joachim sonna, il regarda le nom de l'appelant, s'excusa et s'éloigna pour pouvoir répondre. Laissant Aloysius avec Nate, seuls. Un sentiment de panique s'empara du blondinet qui, aussitôt, se mit à chercher quelque chose pour ne pas laisser un blanc s'étendre. « Et donc... Euh... Tu fais parti du même groupe que Jo' ? Les lys, c'est ça ? » Il se mordit la lèvre, conscient que ce n'était probablement pas le meilleur sujet sur lequel il puisse dériver mais c'était ce qu'il avait de mieux en réserve.

HJ: